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Interview d'un ex-agent de la DGSE dont le livre sort cette

Message Publié : 13 Sep 2011, 18:43
par Charlie Bravo
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Après-11 Septembre - Claude Moniquet : "Au lieu de se simplifier, la situation s'est complexifiée". L'ex-agent de la DGSE considère que la nouvelle organisation du renseignement américain après le 11 Septembre demeure inefficace.

Le Point : Vous dirigez aujourd'hui à Bruxelles une entreprise d'intelligence économique et stratégique, l'ESISC (European Strategic Intelligence and Security Center). Vous publiez un livre sur l'après-11 Septembre que vous commencez en donnant des détails sur une vérité inavouable : vous avez été longtemps journaliste - à L'Express notamment - en même temps que vous étiez agent rémunéré, sous couverture, de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Pourquoi faire aujourd'hui votre coming out ?

Claude Moniquet : Effectivement, comme la loi m'y obligeait, mes activités au service de notre pays sont restées secrètes. Et puis le livre de mon ami Maurice Dufresse, alias Pierre Siramy (1), est paru et m'a mis en cause en me dévoilant. J'avais demandé au service des renseignements de réagir, ce qu'il n'a pas fait en laissant paraître le livre. Je ne dirai rien des opérations que j'ai effectuées, qui restent couvertes par le secret. Mais je suis libre de rétablir ma part de vérité, moi qui ai mené deux vies parallèles durant vingt ans. Celle du journaliste que j'étais déjà plusieurs années avant d'entrer à la DGSE. Et celle d'agent du service.

Ceux qui veulent en savoir plus liront votre livre (2) ! Parlons aujourd'hui de la guerre secrète qui a suivi le 11 Septembre. Vous reprenez le terme créé par George W. Bush, "guerre contre le terrorisme", alors que cette stratégie paraît aujourd'hui largement erronée...

On ne peut pas réduire le terrorisme à un problème de sécurité intérieure, ou même extérieure, qui pourrait être régulé exclusivement par la justice et par la police. De la même façon, il était illusoire de penser que ce problème serait exclusivement réglé par des moyens militaires. Depuis septembre 2001, mais aussi avant cette date, nous devons faire face à des menaces à la fois intérieures et extérieures. Pour le terrorisme intérieur, la police et la justice sont là. Mais elles sont inefficaces contre les guerres ouvertes en Afghanistan ou en Irak, ou contre les conflits larvés du Yémen, du Pakistan se traduisant par des attentats ou des enlèvements. De manière idéologique, les gens autour de Bush parlaient de troisième guerre mondiale. Sans aller jusque-là, je pense qu'il est légitime de parler d'une guerre.

Vous insistez beaucoup sur le double jeu pakistanais et sur l'ambiguïté de ce pays qui est à la fois l'allié des États-Unis et le boutefeu de l'Afghanistan. Le Pakistan, base arrière des talibans, n'est-il pas le principal déstabilisateur ?

La création du Pakistan, en 1947, est celle d'un État musulman séparé de l'Inde qui a connu des dérives islamistes dès le départ. De plus, il manque de profondeur stratégique, face à l'Inde, qui est un immense continent. Il ne faut pas chercher ailleurs la volonté pakistanaise de neutraliser l'Afghanistan en le contrôlant. Pour lui, l'Afghanistan est soit un allié, soit un chaos où il agit à sa guise. Une partie de l'appareil militaire pakistanais a créé les talibans de toutes pièces. Mais ce pays est schizophrène : une partie, autour d'Islamabad, veut accéder à la modernité, au développement. Un Pakistan tribal très arriéré est aussi très proche des talibans.

Et s'agissant des services de renseignements pakistanais ?

Mes sources me disent qu'il est possible de travailler avec le renseignement militaire. Par contre, d'autres services, comme l'ISI [Inter-Services Intelligence], manipulent clairement le jeu complexe avec les talibans. Depuis dix ans, il est arrivé souvent que des arrestations annoncées par la CIA à l'ISI se traduisent par la fuite des personnes concernées. Il y a très clairement un double jeu d'une partie de l'appareil sécuritaire pakistanais. Souvenons-nous que, lorsqu'il a été capturé, Ben Laden vivait à Abbottabad, à deux pas d'une académie militaire, dans la ville même où les généraux prennent leur retraite !

Sa mort a-t-elle changé quelque chose ?

Je ne le crois pas. Sauf psychologiquement. Pour les Américains, cette mort a contribué au processus de deuil et à la résilience. Il faut se souvenir de ce qu'ont représenté ces trois mille morts de New York et de Washington au coeur du pays, en pleine paix civile. Que l'homme qui avait conçu et dirigé ces opérations ait été éliminé est évidemment un succès. À Abbottabad, il vivait reclus, sans moyen de communication moderne, avec uniquement des courriers humains. Ce qui réduisait très fortement son impact réel.

Le renseignement américain est-il plus efficace et plus actif qu'il y a dix ans. Renseigne-t-il mieux le pouvoir exécutif ?

Oui, car des mécanismes plus performants de contrôle, d'évaluation et d'analyse se sont mis en place. Mais quand on regarde les choses de plus près, c'est assez inquiétant. Quand le médecin Nidal Hasan tue douze de ses collègues sur la base américaine de Fort Hood en 2009, les autorités militaires avaient reçu depuis longtemps une série de signaux, y compris des contacts avec des terroristes au Yémen, qui n'ont jamais été centralisés. Deuxième exemple : celui du jeune terroriste nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, aussi en 2009. Son père avait prévenu l'ambassade américaine à Lagos de son comportement très suspect, mais il n'a pas été interdit d'embarquement dans un avion de ligne à destination de Detroit qu'il a tenté de faire exploser. De nécessaires réformes ont été réalisées aux États-Unis, mais, sur le plan des structures, on a assisté à des empilements de nouveaux services et de nouvelles fonctions. Au lieu de se simplifier, la situation s'est complexifiée. Et clairement, cela ne va pas dans le bon sens.

(1) Pierre Siramy, 25 ans dans les services secrets, Flammarion, Paris, 2010

(2) Guerre secrète. Services secrets, diplomatie parallèle et opérations spéciales dans la guerre contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001. Encre d'Orient, 285 pages, 21 euros.


Le Point