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[livre]La Guerre de l'ombre des Français en Afghanistan

Message Publié : 20 Mai 2011, 17:21
par Charlie Bravo
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Officiellement, la France n’est pas en guerre en Afghanistan. Officieusement, c’est une autre histoire commencée il y a plus de trente ans : par deux fois, des Français sont venus aider au renversement d’un régime et à l’installation d’un autre. Les premiers, arrivés après l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, ne portaient pas d’armes, mais des médicaments, de la nourriture, de l’argent. Ceux qu’on appelait les French doctors côtoyaient d’anciens coopérants, des journalistes, des intellectuels, des aventuriers et de discrets agents du renseignement. Seuls, ils ont été les acteurs d’un Grand Jeu dont les fils allaient de Moscou à Washington, de Paris à Islamabad, en passant par Téhéran. Les seconds sont des soldats et toujours des agents secrets engagés dans une coalition internationale pour chasser les Taliban et al-Quaida, puis reconstruire un pays exsangue et le protéger, missions qui font aujourd’hui s’interroger. Ce sont ces années d’un lien unique entre deux pays sans histoire commune que Jean-Christophe Notin raconte. Grâce à des archives inédites, des sources confidentielles et 250 témoignage recueillis dans le monde entier, l’auteur retrace à la fois la geste humanitaire, la guerre interminable sur le terrain, celle des diplomates et des politiques qui se joue dans les coulisses, et celle que mènent les services secrets et les militaires français. Dans ce récit sans équivalent à ce jour, se croisent Massoud et les commandants afghans, Ben Laden et les filières djihadistes, les Taliban et le 11-Septembre.


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Dans un livre événement sur la guerre secrète en Afghanistan, l'historien Jean-Christophe Notin raconte le rôle des espions français à partir des années 1980. Et un épisode stupéfiant.

Avant l'invasion soviétique, l'Afghanistan n'intéresse pas les services secrets français. Pourquoi ?

La France n'avait pas d'intérêt géostratégique majeur en Afghanistan, qui est éloigné de ses zones d'influence traditionnelles. L'opération "Chtorm 333", lancée par Moscou le 25 décembre 1979, bouleverse la donne. Sans poste dans la région, les services [français] sont un peu pris au dépourvu, contrairement à la légende entretenue par Alexandre de Marenches, le directeur du Sdece, qui se vantera auprès des Américains de l'avoir prédite presque au jour près. Ce n'est qu'à la fin de 1980 que celui-ci obtiendra l'installation d'un poste, dit "totem", à Islamabad, au Pakistan. Dans le jargon, cela signifie que les Français sont contraints de travailler main dans la main avec les services pakistanais, l'ISI. L'essentiel des services étrangers, y compris la CIA, sont alors logés à la même enseigne.


Que promet Paris en échange ?

Les deux services font un deal: l'ISI fournit des informations - qui n'en sont pas vraiment... En contrepartie, les officiers français livrent surtout du matériel d'écoute de forte puissance, officiellement destiné à surveiller l'Afghanistan. En réalité, aucun chef de poste n'arrivera à déterminer son utilisation réelle! Il a probablement été détourné pour écouter... l'Inde, le grand rival régional du Pakistan. De leur côté, les officiers de la DGSE - qui succède au Sdece - n'auront de cesse de tenter de contourner l'ISI.


Pourquoi la DGSE choisit-elle de soutenir, parmi les chefs de guerre afghans, le commandant Massoud ?

L'enjeu est de disposer des meilleurs renseignements sur la guerre menée par l'URSS. A cette époque, les deux grands partis afghans exilés au Pakistan sont le Jamiat-e-Islami, auquel appartient Ahmed Chah Massoud, et le Hezb-e-Islami de Gulbuddin Hekmatyar. Ce dernier est déjà "traité" par les Américains et les Pakistanais ; de plus, il rebute les Français à cause de son intégrisme. Si, dans un tout premier temps, la DGSE porte son intérêt sur un commandant de l'ethnie majoritaire pachtoune, Amin Wardak, elle se tourne rapidement vers Massoud, dont la renommée grandit pas à pas grâce aux journalistes et aux humanitaires français, qui en tracent un portrait flatteur. Le plus étonnant, au final, c'est que la DGSE va ainsi être amenée à soutenir un homme qu'elle ne rencontrera vraiment qu'en 1992! Le pari s'est révélé payant.


La DGSE lui livre-t-elle des armes ?

A la fin de 1986, un cargo rempli de mortiers, de mitrailleuses et de kalachnikovs accoste à Karachi (Pakistan). Le matériel est destiné à Massoud, sans qu'il sache qu'il profite d'une aubaine. A l'origine, ces armes, issues du bloc de l'Est, devaient en effet équiper l'armée républicaine irlandaise (IRA). La DGSE, qui trouvait louche l'itinéraire du navire (Libye-Irlande), l'avait arraisonné au large de la Bretagne. Parmi les autres livraisons, citons-en une assez folklorique: une brigade de pigeons voyageurs. Le relief afghan compliquait en effet les communications. Dressés en France, les volatiles n'ont cependant pas eu l'occasion d'évoluer dans les cieux afghans, car les Soviétiques ont mitraillé la colonne qui emportait leurs cages.


Les services forment aussi au combat les moudjahidin...

La DGSE a la volonté d'accroître sa participation, mais de façon discrète. Avec son service Action, elle possède un vrai savoir-faire. A partir de 1986, plusieurs groupes de moudjahidin sont donc exfiltrés d'Afghanistan, via Islamabad. Direction Paris, puis le camp de Cercottes (Loiret). Pendant un mois, les Français leur inculquent l'art de la guérilla: embuscades, utilisation d'armes lourdes, sabotages, acquisition et transmission du renseignement... Un Afghan profitera d'ailleurs d'une visite touristique dans la capitale pour prendre la poudre d'escampette. Afin de contrer la propagande soviétique, certains sont également formés au... journalisme, par le biais d'un contrat très particulier avec l'Ecole supérieure de journalisme de Lille. Officiellement, il s'agit d'enseigner à une dizaine d'Afghans les techniques modernes de photo et de vidéo. Parmi les stagiaires, un jeune Pachtoune deviendra célèbre: Hamid Karzai, l'actuel président afghan!


Les services ont-ils vraiment livré des missiles antichar Milan ?

Surtout entre 1995 et 2001. A l'époque, presque personne ne le sait. Après le départ des Soviétiques, un service ultrasecret de la DGSE, aujourd'hui encore totalement inconnu, le service Mission, a obtenu de la direction centrale la poursuite du soutien à Massoud, devenu ministre de la Défense à Kaboul. Ces armes ont été utilisées contre Hekmatyar, puis contre les talibans.

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Sur cette photo inédite, prise dans une villa de Taloqan, au nord-est de l'Afghanistan, en 1999, le commandant Massoud, carte à l'appui, explique l'offensive qu'il va lancer à un officier de la DGSE.


Dans quel but la DGSE a-t-elle approché les talibans, si décriés ?

Massoud continue d'être appuyé par le service Mission, mais c'est la raison d'être des services que de nouer des liens avec toutes les forces d'un pays, si sulfureuses soient-elles, surtout quand elles en prennent le contrôle, en 1996. D'autant qu'à cette époque, des ONG françaises s'activent en Afghanistan et que les filières terroristes, qu'utilisent de jeunes Français pour se former au djihad, préoccupent de plus en plus l'Occident. Comme les satellites américains peinent à localiser les camps d'entraînement, c'est le renseignement humain, privilégié par la DGSE, qui se révèle le plus efficace. Toutefois, le Maghreb et le Proche-Orient demeurent la priorité des services français en matière de contre-terrorisme.


Quand les services s'intéressent-ils à Ben Laden ?

Il est déjà apparu sur leur écran en Libye, au tout début des années 1980, quand il rêvait de renverser Kadhafi. Par la suite, les chefs de poste l'observent à son arrivée à Peshawar, en 1984. Ils suivent ses activités de soutien au djihad contre les Soviétiques, puis son basculement dans le terrorisme international. S'il n'existe pas à la DGSE de cellule "Ben Laden" stricto sensu - Ben Laden ne menace pas ouvertement la France -, ses sources l'alimentent en informations, qu'elle partage avec la CIA. Après le 11 septembre 2001, la qualité des liens établis avec les talibans vaut au chef de poste à Islamabad une offre stupéfiante: la livraison de Ben Laden à la France... Le coup, a priori splendide, peut être très embarrassant. Que faire ensuite du Saoudien? Comment réagira Washington? Et Al-Qaïda? Les bombardements américains, le 7 octobre 2001, évitent à la DGSE d'avoir à répondre à toutes ces questions: l'affaire n'a pas de suite.

Les militaires français ont-ils eu Ben Laden "dans leur viseur" ?

Certains médias, citant des membres des forces spéciales françaises, ou prétendus tels, l'ont affirmé, en expliquant que les Américains n'auraient pas accordé l'autorisation de tir... Pour de multiples raisons, cela semble abracadabrant. En revanche, la DGSE a réussi à le localiser à quelques reprises dans l'est de l'Afghanistan, en particulier grâce à l'écoute téléphonique de ses gardes du corps. Mais il y a une marge entre localiser une personne et monter une opération pour la neutraliser.


L'Express

Re: La Guerre de l'ombre des Français en Afghanistan

Message Publié : 19 Juin 2011, 22:02
par Charlie Bravo
Livre : avec les espions français en Afghanistan


"La guerre de l’ombre des Français en Afghanistan" de Jean-Christophe Notin est un ouvrage qui fera date. A-t-on découvert le Bob Woodward tricolore, l’équivalent français du grand journaliste américain dont les livres racontent le dessous des guerres de son pays ? La question mérite d’être posée à la lecture de ce pavé consacré à la « guerre de l’ombre » menée par la France en Afghanistan depuis plus de trente ans. L’auteur n’est pas un journaliste célèbre, mais un ingénieur des mines reconverti dans l’écriture. A 40 ans, Jean-Christophe Notin était surtout connu des amateurs d’histoire militaire pour ses biographies de Leclerc et de Foch ou ses récits de la campagne d’Italie. Le voilà qui, à 40 ans, frappe un grand coup.

Jamais avant lui, l’engagement des services secrets (SDECE puis DGSE) n’avait été raconté avec un aussi grand luxe de détails. D’abord contre les Soviétiques, puis sous les talibans et enfin depuis l’intervention américaine en 2001. Jamais le soutien de la France au commandant Massoud et à quelques autres, comme Amin Wardak, n’avait été décrit avec tant de détails. On découvre les noms, pardon les pseudonymes, des officiers de la DGSE qui, des années durant, ont trainé leurs guêtres en Afghanistan et dans les pays voisins pour le compte du Service Missions – dont il révèle l’existence au passage : Adrian, Vladimir, Rodrigue, etc… L’auteur publie même leurs photos avec toutefois les visages floutés…

Ce livre est le fruit de plusieurs années de travail et de 250 entretiens avec des responsables, militaires, diplomates, politiques mais aussi hommes du renseignement. Beaucoup d’anciens de la DGSE se sont confiés à l’auteur et le « Service », d’abord quelque peu stupéfait par l’ampleur de ce travail, a pris soin, de vérifier, avant publication, que rien de trop dangereux ne serait dévoilé.

Pour ce que nous avons pu en vérifier, tout n’est pas écrit, mais tout ce qui l’est s’avère exact. « La guerre de l’ombre » est d’abord le récit des aventures de nos espions dans les vallées afghanes. On apprend par exemple quels liens la France avait réussi à établir avec les talibans, comment un Officier traitant a récupéré la liste des cibles que les Américains allaient frapper en octobre 2001, dans quelle condition la DGSE a failli récupérer Ben Laden vivant, etc. Tout cela ressemble à un vrai roman d’espionnage.

Mais le livre n’est pas que cela. C’est aussi un bon récit de trois décennies de guerre en Afghanistan, et une plongée dans les mécanismes de décision du pouvoir français. On assiste ainsi au Conseils de défense durant la cohabitation Chirac/Jospin tout comme l’on se trouve plongé dans la « cuve », le centre des opérations militaires dans les sous-sols du boulevard Saint-Germain. L’auteur ne défend aucune thèse : il décrit et il explique. Un travail remarquable qui permet de comprendre à quoi servent vraiment les services de renseignements. Sans fantasmes ni mythologies.


JDM


Je suis en train de le lire et ça se dévore tranquillement mais sûrement... Beaucoup de précisions tout azimut sur le rôle de chacun raconté jour après jour... Un chef d'oeuvre à mon goût en tout cas !

Re: La Guerre de l'ombre des Français en Afghanistan

Message Publié : 03 Juil 2011, 10:20
par Charlie Bravo
Quand la DGSE infiltrait des camps jihadistes en Afghanistan

Maître d'oeuvre de la libération d'Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en Afghanistan, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a bénéficié de sa "connaissance assez exceptionnelle" du pays, selon Jean-Christophe Notin, auteur d'un livre sur le sujet.

Dans "La guerre de l'ombre des Français en Afghanistan (1979 - 2011)", publié chez Fayard (929 pages), Jean-Christophe Notin livre une série de révélations sur l'action des services de renseignements dans ce pays ravagé par une guerre civile interminable.

Infiltration de camps jihadistes en Afghanistan après les attentats de 1995 en France; formation discrète en France de Moudjahidine du commandant Massoud et livraison de missiles antichar Milan dans les années 1980, puis entre 1995 et 2001; liens secrets avec les services de renseignements talibans: il raconte, dans un entretien à l'AFP, les "coups" de la DGSE.

Pendant près de deux ans, cet ancien ingénieur des Mines de 40 ans, auteur de plusieurs ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale, explique avoir rencontré 250 hommes politiques, hauts fonctionnaires, militaires et une cinquantaine d'anciens responsables et d'agents de la "Boîte" (surnom de la DGSE donné par ses membres).

Jean-Christophe Notin n'a pas été du tout étonné de la réussite de la DGSE dans la libération des journalistes de France 3. "La DGSE a tissé depuis des années des relations avec toutes les ethnies et dans tous les camps et du coup, elle possède une connaissance assez exceptionnelle de l'Afghanistan", assure-t-il.

Après l'attentat du RER Saint-Michel à Paris (8 morts le 25 juillet 1995), la DGSE remonte les filières des jihadistes vers les camps afghans, via le Pakistan, puis parvient à y introduire des taupes. Lors d'une réunion CIA/DGSE consacrée à un camp afghan où sont testés des armes chimiques (poisons), un agent américain montre une photo satellite à haute résolution du camp mais son homologue de la DGSE sort des photos prises dans le camp même.

Dans les années 1980, en pleine occupation soviétique, la DGSE exfiltre des dizaines d'Afghans vers ses centres en France où ils suivront des entraînements au sabotage, à l'acquisition du renseignement ou à l'utilisation des armes lourdes. A la même époque, la DGSE va livrer aux forces de Massoud quelques missiles antichar Milan qui permettent d'atteindre un blindé jusqu'à 2.000 mètres. Même opération quelques années plus tard toujours à Massoud.

La DGSE parvient même à nouer des liens avec les services secrets talibans qui vont jusqu'à proposer, selon Jean-Christophe Notin, après le 11 septembre 2001, de livrer Ben Laden à la France. Les bombardements américains sur l'Afghanistan, le 7 octobre 2001, éviteront à la DGSE de répondre à cette proposition embarrassante.


AFP 03/07/2011

Re: La Guerre de l'ombre des Français en Afghanistan

Message Publié : 08 Jan 2012, 19:32
par zoby_Zoba
Alors je viens de lire ce bouquin (j'en ai eu une flopée à Noël PDT_Armataz_02_29 ) et il est vraiment excellent.

Tout de même assez long (850 pages), mais facile à lire et surtout captivant. Il y a au milieu quelques pages en papier glacé avec des photos d'agents français ayant opéré en Afghanistan qui sont magnifiques et apportent au livre un vrai plus. L'histoire de l'Afghanistan et de ses guerres est bien racontée, avec les magouilles politiques, l'effondrement du pays, le rôle des agents français ...

Je recommande vivement car c'est un bon moyen de se renseigner sur le pourquoi du comment de ce merdier qu'est devenu l'Astan PDT_Armataz_02_43

Re: [livre]La Guerre de l'ombre des Français en Afghanistan

Message Publié : 08 Jan 2012, 21:20
par Charlie Bravo
N'hésite pas à laisser un commentaire sur la page facebook du livre, c'est apprécié à juste titre par l'auteur : http://www.facebook.com/pages/La-guerre ... 0622747915

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