CHAPITRE 3 : LES COMBATS DE TOUS LES JOURS, SNIPER DE LA DEFENSE
Au prix de grands sacrifices, les hitlériens ont réussi à conquérir les approches de la ville de Lenin. Mais ils étaient tellement exténués par les combats, que les forces nécessaires pour forcer le Neva leur manquaient. Ils ont commencé rapidement à envoyer des renforts pour s’établir solidement sur la rive conquise du fleuve. Ces jours de courtes accalmies ont été utilisés au maximum par notre Commandement pour développer les moyens de défense : le regroupement des troupes, le ravitaillement en munitions et en vivre. Voilà pourquoi, quand les hitlériens, plus tard, ont essayé de forcer le fleuve en plusieurs endroits, ils n’ont pas réussi ! Les troupes du front de Leningrad n’ont pas permis aux fascistes de pénétrer dans la ville.
Les détachements de l’Armée soviétique, passant à l’offensive, ont infligé la défaite à l’ennemi dans les régions de TICHRINE et VOLHOW. Après quoi, le front se stabilisa et les troupes ont pris les dispositions défensives : des circonstances favorisant l’apparition des «chasseurs-libres », les exterminateurs des occupants allemands.
L’initiative de cette noble tâche incombe aux meilleurs tireurs des troupes du front de Leningrad. Dans la défensive, le sniper obtient les plus grands succès quand il agit non seulement comme tireur d’élite mais aussi comme observateur, fournissant à son commandement les renseignements précieux et aidant les artilleurs à découvrir les objectifs. Je vais tâcher d’éclaircir ma pensée par quelques exemples :
LABORATOIRE SUR LE CHAMP DE BATAILLE
Avec quoi faut-il commencer la préparation du sniper ? Sans aucun doute par l’étude approfondie de son arme. Ce n’est pas quand le combattant a étudié son arme et toutes ses qualités remarquables qu’il peut faire feu avec assurance et tirer les conclusions qui s’imposent de son tir. Le sniper est obligé de se vérifier et de se corriger. Lui, comme le savant, explore, fait une expérience après l’autre. Son laboratoire, pour lui, c’est le champ de bataille ! Il tire et, au cas où il raterait son coup, cherche immédiatement la cause de l’erreur : la distance jusqu’à l’objectif est-elle bien évaluée ? Alors, on peut vite déterminer ses erreurs et faire les corrections nécessaires.
Prenons l’exemple suivant : tu attends à la distance de 400m, tu mets la hausse sur cette distance en tenant compte de toutes les conditions de tir et, en particulier, la dérive. Mais, brusquement, l’adversaire surgit, mais pas à l’endroit où tu l’attendais. Il faut immédiatement abattre l’ennemi autrement il va s’en aller. Tu le vises, appuie sur la détente : raté ! Tu commences à chercher la cause. Tu raisonnes : la hausse était à 400m, mais il se trouve que l’ennemi est apparu à la distance de 600m. C’est pourquoi la balle ne l’a pas atteint. La trajectoire a été plus qu’il ne fallait et, si j’avais visé le ventre, la balle serait aller dans la terre. Il fallait donc donner au fusil un angle de hausse plus grand mais, puisque je n’avais pas le temps de changer la hausse, il me fallait choisir un point de visée imaginaire plus haut. Et de combien ? Tu calcules mentalement : il se trouve à environ130-150 cm, il en résulte qu’il fallait viser l’adversaire non pas au ventre, mais plus haut que la tête d’environ un demi-mètre pour placer la balle au ventre. La prochaine fois, tu ne commettras plus la même erreur.
Voici un autre exemple : un matin d’octobre, je faisais un tir de vérification pour ajuster mon fusil. Avec un ciel voilé, il faisait froid et humide. Il m’a fallu tirer pendant la journée, le temps s’améliora et le soleil apparut. Je vois que le tir n’est pas satisfaisant pourtant, il semble que tout est juste. Je vise scrupuleusement, mais je rate mes coups. Je commence à chercher la cause de ma malchance et comprends de quoi il s’agit. La température s’était élevé et, en conséquence, la densité de l’air avait diminué. Avec une hausse de température de 10 degrés seulement, la trajectoire de la balle s’élève sensiblement. Si tu tires, admettons, à 700m, comme je faisais, la différence est de 21 cm (tous les 10 °C ). En conséquence, à 20 °C, la différence atteint 42 cm.
Ces vérités élémentaires sont utiles à un sniper. Si j’avais tenu compte de ce phénomène pendant le tir, j’aurai abaissé artificiellement la trajectoire de le balle. Cela pouvait être réalisé par deux procédés : soit tirer comme pour une distance moindre en mettant le curseur de hausse non pas sur 7, mais sur 6,5 soit, sans changer de hausse, baisser le point de visée de 42 cm.
Ainsi, la connaissance de la balistique m’aida rapidement à trouver la solution juste et à corriger mon erreur.
MON FUSIL
L’Amour de l’arme que je me suis inoculé en temps de paix me passionne. Le tir est un noble sport, mais jamais ce sentiment n’était si fort qu’au front où j’avais apprécié les hautes qualités de notre fusil. En-effet, est-ce possible de trouver un fusil meilleur que le nôtre ? Le fusil russe, léger, précis est sur au combat. Le fusil pour un combattant est son meilleur ami. Je l’ai toujours entretenu soigneusement, le conservant dans un état de propreté constant. Jamais je ne tolérais la moindre tache de rouille sur ses parties métalliques.
Les camarades m’ont souvent demandé quel lubrifiant j’employais, pourquoi mon fusil brillait toujours comme un fusil neuf. Evidemment, je n’avais pas de lubrifiant particulier. Tout le secret de l’état parfait de mon arme consistait dans les soins attentifs et quotidiens que je lui prodiguais avec amour.
Souvent affamé, gelé, je revenais de la chasse, mais avant tout, je commençais le nettoyage et la mise en ordre de mon arme. Oui, et je me demande comment on ne peut aimer et soigner cet ami fidèle, lequel me tira plusieurs fois de situations difficiles et parfois périlleuses.
Quoique tous les fusils soient confectionnés et vérifiés de la même façon, chacun a son propre «caractère ». Comprendre ce «caractère », savoir ce que le fusil aime et ce qu’il n’aime pas est la première obligation du sniper. Un fusil a la détente facile, l’autre l’a plus dure ou, comme nous l’appelons, en «degré ». L’un exige de prendre l’angle de hausse un peu plus grand qu’il ne faut pour la distance donnée et l’autre, au contraire, un peu moins. Savoir toutes ces particularités joue un grand rôle pour le tir de précision.
Je me suis tellement habitué au dernier fusil que j’ai eu au front, et je l’ai tellement pris en amitié, que souvent mon flair m’a soufflé de combien il fallait décaler le point de visée, dans n’importe quelles conditions de combat.
J’ai appris le tir de précision avant la guerre. Au commencement, j’étais un jeune tireur de VOROCHILOW et, quand je suis devenu étudiant à l’Institut des Mines, je me fis inscrire à l’école des snipers. En été, nous allâmes dans un camp aux environs de Leningrad. Nous avons habité des tentes où nous étudiions la topographie, le camouflage, les travaux du Génie, en un mot, nous apprenions la vie en campagne. Sur les champs de tir, on s’entraînait à tirer sur les cibles mouvantes.
Les différents figuratifs apparaissaient et disparaissaient alternativement. Tirer était simple et commode. Tu te couches sur l’herbe, appuies sur la détente et tu te réjouis des bons résultats.
Mais voilà, en arrivant au front, toutes mes habitudes et coutumes de sniper ont été soumises à un examen sévère. Ici aussi apparaissaient les figuratifs mais, eux aussi, tiraient sur moi. L’emplacement du tir n’était plus choisi par un instructeur bienveillant, mai il fallait le trouver soi-même. Si tu commets une erreur en choisissant ta place, tu payeras cela de ta vie. Tu tires déjà non pas dans une ambiance tranquille comme tu tirais à l’époque, mais tu dois vaincre en toi une certaine émotion, préparation et parfois la peur.
LE FRONT, LA MEILLEURE ECOLE POUR L’EDUCATION DU COMBATTANT.
ECOLE DE SANG-FROID
Tout le monde sait que pour le tir de précision la tranquillité et le sang-froid sont indispensable avant tout. Dans la situation du combat, satisfaire à ces conditions n’est pas si facile. Je me souviens des premières journées quand je me suis trouvé dans nos lignes avancées en tirant, non pas sur les cibles mais, sur les fascistes vivants. Quand notre Unité a été chargée de la défense au bord du fleuve, je me suis glissé par les tranchées et, après avoir choisi l’emplacement de tir, j’ai jeté avec précaution un coup œil à travers le créneau sur la rive opposée. Là, à 400-500 mètres, étaient les hitlériens. J’observai longtemps quand, brusquement, un officier ennemi apparut. Sans se presser, il marchait le long du sentier qui menait vers le fleuve. L’ennemi était proche ! Le sentiment de haine m’envahit. Je me représentais les villes et les villages détruits par les bombardements sauvages, les cadavres de femmes, d’enfants et de vieillards. Je me précipitais d’appuyer sur la détente. Je ratais mon coup, le fasciste se sauva. J’éprouvais du dépit à cause de mon insuccès. Peut-être le fusil était-il fautif, pensais-je ? Rater la cible à une si petite distance ! Et pour qu’il n’y ai aucun doute, je décidai de vérifier le tir de mon fusil. Je demandai à un camarade de m’aider dans cette affaire. Tu vois, dis-je, une perche qui émerge de l’eau ? Je vais tirer sur elle et toi, tu vas regarder dans les jumelles où seront les éclaboussures des balles. J’ai tiré une fois, deux fois, les éclaboussures se soulevaient les unes à coté des autres, mais loin à gauche de la perche. Je déterminais à combien de mètres les balles avaient dérivé du point visé : 2,50 m. La distance jusqu’à la perche est de 400 m. Ces deux chiffres me donnent la possibilité de calculer la correction indispensable. Je tourne le tambour de correction latérale dans le sens positif. Je déplace ainsi le point d’impact à droite, en obtenant la concordance du point de visée avec le point d’impact. Je tire encore une fois. Cette fois les éclaboussures apparaissent auprès de la perche, j’arrête la correction définitive de l’appareil de visée. Maintenant je suis tranquille, le fusil tire bien.
J’observe l’ennemi. Il me semble que j’attends depuis longtemps mais les fascistes n’apparaissent plus. Il me semble que des siècles ont passé ! Enfin, sur le sentier, se présentent deux Allemands et, avec précaution, ils descendent vers le fleuve. Un frissonnement de joie parcourt mon corps, je pense : tout à l’heure, je vais les mettre dans le sac ! Mais en même temps, je me dis : tranquillises-toi, ne t’énerves pas ! En effet, je me sens comme ramassé intérieurement. Je laisse les Fritz venir plus près. Portant des seaux, le P.M. accroché à la ceinture, ils descendent de plus en plus bas en suivant le sentier. Maintenant c’est le moment, pensai-je. J’ai pris sur le guidon le premier fasciste et, progressivement, j’appuyai sur la détente. Le coup de feu retentit et il tomba sur le sol, comme fauché. Le seau roule près du fleuve. L’autre Hitlérien a été abattu par un tireur voisin.
Avec le temps, je m’entraînai à me maîtriser et à freiner mon impatience lors de l’apparition de l’ennemi. Aux tireurs débutants, il manque souvent cette maîtrise de soi. Il arrive souvent ceci : un fasciste apparaît à environ 200 m devant toi et il marche en vue. Toi, au lieu d’attendre, tu épaules et Bang ! Coup raté ! Mais après, j’ai changé de tactique. Je repère un fasciste qui s’approche : j’attends. Il va, mettons, sur un sentier ou en se faufilant à travers les arbres. J’attends toujours patiemment. Il commence à puiser de l’eau. Et voilà, au moment où il se penche au-dessus de l’eau et reste un moment immobile, je l’abats.
J’ai à raconter un autre cas : les hitlériens puisaient de l’eau du fleuve du haut d’une falaise en descendant le seau au moyen d’une corde. Ils faisaient cela en s’abritant derrière un petit mamelon. Quand ils hissaient le seau plein jusqu’à la corniche, l’un d’eux sortait en courant et, ayant saisi le seau, disparaissait promptement. Il était difficile de pointer à temps. Mais, malgré cela, j’ai réussi à descendre un de ces gaillards. Je ne leur ai pas fait peur prématurément. J’ai leur ai laissé le temps de descendre tranquillement la corde, remplir le seau, mais j’ai marqué exactement l’endroit où devait apparaître le fasciste pour saisir le seau. Mon calcul s’avéra juste. Quand l’hitlérien sortit pour saisir le seau, je fis feu et il tomba à la renverse d’une hauteur de 10 mètres.
A chaque coup suivant, j’ai tiré de plus en plus tranquillement et, au bout d’un certain temps, je faisais feu à coup sûr.
PATIENCE
Mes amis et camarades qui partageaient avec moi les difficultés de la vie militaire, se réjouissaient toujours de mes succès. De temps en temps, les camarades des unités voisines venaient regarder le tir des snipers. Un jour, par une nuit d’automne, je fus réveillé par la voix de mon officier PICHELINTZEW, debout, des fascistes !
Je sautais rapidement, empoignais mon fusil et sortis en suivant l’officier.
Dans la direction qu’il m’indiqua dans l’aurore matinale, se dessinaient deux hitlériens. Utilisant les ténèbres, ils déterraient des pommes de terre que la population n’avait pas eu le temps de ramasser et les mettaient dans un sac. Etant que le jour se levait à peine et que le champ était assez grand, on pouvait être sur que les hitlériens en auraient pour un moment. Attentivement, j’évaluais la distance qui me séparait d’eux en utilisant des points de repère dont l’éloignement m’était connu. Ensuite, j’épaulais et je fis feu. Mais, à cause de la mauvaise visibilité, je ratais le but. La balle se logeait probablement dans une plate-bande en soulevant un petit nuage de poussière. Les fascistes ont compris qu’ils étaient découverts. L’un d’eux a saisi le sac de pommes de terre, l’autre la pelle, et tous les deux s’enfuirent. Mais je m’aperçut que le champ de pommes de terre était entouré d’une clôture pas trop haute que les Allemands ne pourraient éviter. Aussitôt, j’établis un plan d’action. Il fallait attendre que le premier atteigne l’obstacle. Au moment où il releva la jambe pour franchir la clôture, et de ce fait un moment immobile dans le champ visuel de mon appareil optique de visée, j’appuyai sur la détente : l’hitlérien tomba. Celui là est cuit, dit l’officier, reste le deuxième. L’autre a compris qu’il était pris en chasse par un sniper. Il jeta le sac, tomba comme une pierre par terre et rampa vers la clôture. Je ne t’irais pas dessus, mais la pointe de mon appareil de visée suivit. J’attendais patiemment. Voyant que personne ne tirait sur lui, il essaya de sortir du champ. Quand le fasciste sauta la clôture, le coup de feu retentit. Deux à zéro, dit l’officier
Voici encore un autre exemple :
Non loin de Léningrad, sur la Neva, il y avait un pont de chemin de fer que nos troupes avaient fait sauter lors de la retraite. Deux poutres adhérentes à notre coté étaient intactes et une troisième était suspendue par un bout sur la pile. Un beau jour, en hiver, il m’est venu l’idée d’utiliser le pont comme observatoire. Je voulais faire cela pour deux raisons : premièrement, il y avait déjà trois jours que je n’avais pas abattus un seul fasciste et, deuxièmement, pénétrant sur ce pont, je pourrais observer la rive occupée par l’adversaire.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Avant la levée du jour, ayant revêtu des habits chauds, je me suis faufilé à travers nos lignes avancées de défense, rampant rapidement sur le remblai vers le pont, tachant de ne pas laisser de traces sur la neige visibles de l’autre coté. Il m’a fallu faire tout le trajet sur la ligne de chemin de fer entre les rails. Sur le pont, je cherchais longtemps un endroit convenable. A cause du gel, les poutres métalliques étaient recouvertes de givre. Il fallait rester parmi cette ferraille le jour entier jusqu’au crépuscule, moment où je pourrais sortir inaperçu de mon abri. Enfin, je me suis installé en dessous d’un croisement de poutres, presque au milieu du fleuve. Il commençait à faire jour, à travers un brouillard blanchâtre, se dessinait le rivage ennemi. Quand la visibilité devint meilleure, je commençai à étudier le dispositif ennemi. Tout près du rivage, étaient disposés en quantité les anneaux de fil de fer barbelés et minés, des obstacles presque invisibles. Un peu plus loin, se trouvait un enclos constitué par des poteaux bas derrière lesquels on voyait les blindages allemands. Entre cela, on pouvait apercevoir les boyaux de communication qui s’en allaient jusqu’à la forêt. Je doute que l’on puisse rêver d’une meilleure observation ! Je voyais mieux la rive occupée par l’ennemi que la notre, ce que je pouvais bien faire d’ici !
Malgré que je sois chaudement vêtu, le voisinage de la ferraille givrée se faisait sentir. J’avais le désir intense de mouvoir les mains et les pieds pour me réchauffer, mais tout ce que je pouvais faire, c’était de bouger les doigts et les orteils. Quelque fois j’étais tenté de faire feu sur des soldats fascistes bien visibles mais, à chaque fois, je me suis abstenu. En effet, c’était impossible de tirer sans se faire repérer immédiatement. Au bout d’un certain temps, commença une fusillade acharnée entre les deux rivages. Les coupeurs de têtes hitlériens apparaissaient de plus en plus souvent. Maintenant, j’étais aux aguets en attendant une cible convenable. Vers midi, je repérais trois personnes se déplaçant dans un boyau de communication. En scrutant tout le boyau jusqu’au rivage où il débouchait dans la tranchée, j’ai vu qu’en un endroit, il était tourné directement vers moi. J’ai saisi tout de suite le profit que je pouvais tirer de ce coude de boyau. Sur un tronçon de dix mètres, je pouvais voir les fascistes jusqu’à la poitrine. En plus de ça, en se déplaçant, ils restaient sur la pointe de mon appareil de visée immobiles parcequ’ils s’approchaient de moi. Le fasciste qui marchait en tête était sans fusil et portait les galons de caporal-chef (Ober-gefreite ?). Derrière lui, suivaient deux soldats armés de carabines. Il restait 20 à 25 mètres jusqu’au tournant du boyau. Il m’a toujours semblé qu’ils devaient sentir le danger et se baisser pour l’éviter. Mais il n’en était rien. Les hitlériens continuaient le mouvement debout et leurs têtes m’étaient bien visibles. Je pris le caporal-chef sur le guidon et le suivi dans l’objectif de la hausse. Enfin, tous les trois s’engagèrent dans le tronçon que j’avais repéré. En une fraction de seconde, je compris qu’il était encore trop tôt pour tirer et qu’il fallait attendre que le premier fasciste atteigne la fin du coude. Abattu, il fera par son corps un obstacle pour les autres qui le suivaient. Pour s’échapper, il leur fallait parcourir les dix mètres en étant visibles par moi, jusqu’à l’autre tournant du boyau.
Le dard noir de la hausse s’enfonça dans la poitrine du caporal-chef hitlérien et le suivit dans tous ses mouvements. Il a fait encore deux pas. A cet instant, je fis feu et l’hitlériens s’affaissa lourdement dans le fond de la tranchée. Il n’y avait pas de doute, le coup de feu était heureux ! Les deux autres qui le suivaient se sont portés à son secours, évidemment sans comprendre ce qui lui était arrivé. Je profitais de la situation. J’attrapai sur le guidon un autre hitlérien et l’abattit également. Le troisième se trouvant au milieu de deux morts s’affola à tel point qu’au lieu de sauter à travers les cadavres pour se plaquer contre le fond de la tranchée, il baissa simplement la tête en se serrant contre son camarade tué. Evidemment, je liquidais aussi sans difficultés ce gaillard.
Au bout de 10 à 15 minutes, j’abattit encore deux coupeurs de têtes fascistes au même endroit. Seulement, à 5 ou 6 heures du soir, dans l’obscurité, je sortis de mon abri et, transi de froid, je regagnais nos lignes. Par la suite, en l ’espace de 4 ou 5 jours, en continuant l’observation sur ce pont, j’exterminais encore 12 soldats ennemis.
Enfin, les hitlériens ont deviné d’où étaient visés et, quoi que n’ayant pas démasqué mon emplacement, ont commencé à canonner intensivement le pont avec les mortiers, particulièrement le matin. Mais cet observatoire avait déjà été suffisamment utilisé et je le changeai. D’après les renseignements que je fournis à nos artilleurs, ceux-ci ont fait du bon travail en détruisant plusieurs blindages et nids de mitrailleurs ennemis.
TOUJOURS UN COUP DE FEU PRECIS
Sans discussions, pour bien tirer, le tireur doit savoir prendre la position correcte du tireur couché, imprimant au tronc la position indispensable, écartant les jambes et s’assurant des appuis solides avec les coudes.
La position juste du tireur est la première condition du succès. Mais pour le sniper, cela ne suffit pas. Le sniper doit savoir tirer dans n’importe quelle position, dans n’importe quelle situation de combat. Il arrive souvent que l’emplacement d’où le sniper fait feu soit extrêmement incommode pour le tir mais, par contre, présente des avantages indiscutables au point de vue tactique. Il est bien camouflé contre l’observation ennemie et on y observe très bien les dispositions de l’adversaire. Le sniper est souvent obligé de tirer en se couchant sur les racines saillantes des arbres, derrière la souche, assis sur une branche de l’arbre, debout dans un trou, en se plaquant au sol dans un terrain découvert ou en se pliant d’une façon incommode.
Il m’arriva une fois ceci : à la fin de l’automne 1941, nos troupes traversaient la Neva, des canots chargés de blessés flottaient en aval. Les hitlériens se trouvant sur la rive opposée ont ouvert un feu acharné de mitrailleuses sur les canots. J’étais assis dans le blockhaus. Tirer à travers le créneau n’était pas commode et le champ visuel était trop petit. Il fallait déménager dans la tranchée. Mais de là, les conditions de tir n’étaient pas bien meilleures. Alors, je suis sortis de la tranchée, en rampant plus près du rivage et je trouvai un emplacement dans un tas de branchages. Après avoir aménagé ma place, j’essayai d’attraper sur mon guidon le tireur de la mitrailleuse adversaire. C’était très difficile : les branches superposées faisaient l’effet de ressort d’un matelas et les coudes s’effondraient à travers les branches. Néanmoins, je choisis un moment où mon corps acquit la position la plus stable, épaulais et fis feu. La mitrailleuse fasciste se tût. La position de tir n’était pas commode, mais elle était bien camouflée. Au bout d’un certain temps, j’anéantis encore deux mitrailleurs fascistes et un observateur. Le problème était résolu.
Je me souviens, pendant l’hiver, il m’a fallu tirer dans la position suivante : devant moi, le terrain était encombré par des troncs d’arbre, des tas de branches coupés par le feu des mortiers et par la terre dispersée par les explosions des obus. Tout cela me cachait la vue des cibles. C’est pourquoi je ne pouvais tirer en position couchée. Me soulever derrière mon abri était impossible à cause du feu nourri des hitlériens. Se placer en avant vêtu d’un sarrau blanc était impossible parce que le fond derrière moi, constitué de branches, était sombre et, de ce fait, j’aurais été vite démasqué. Il m’a fallu me cacher derrière un gros bouleau en me courbant fortement. Dans cette position extrêmement incommode, m’appuyant sur le genou et en posant le fusil sur un rameau, je devais tirer. Malgré cela, je réussis à abattre deux cibles, c’était deux soldats hitlériens.
Un jour, au printemps, il m’a fallu m’avancer le plus près possible du dispositif ennemi. Au moindre mouvement, les fascistes répondaient par une fusillade farouche. Je me déplaçais en de courts bonds à travers le marais. En tombant, on sentait s’enfoncer dans la poitrine soit une motte de terre dure, soit une perche quelconque. Mais se soulever était impossible, on aurait été descendu. Je choisis une motte de terre comme appui pour mon fusil et mes coudes, le corps restant noyé dans l’eau du marais. Ainsi, je tirais presque en nageant, mais ma peine a été couronnée de succès : j’abattit un correcteur de tir d’artillerie et la batterie a été réduite à tirer aveuglement