Le soldat du futur

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Le soldat du futur

Message par savage » 13 Nov 2004, 17:51

Source internet:
http://www.antagonisticart.com/article18.html


Du "cyberwarrior" au Tchétchène...

Depuis les années 1980, des sommes considérables ont été investies dans la création du « cyberwarrior » du futur : Casques énormes à réalité augmentée, virtuelle, électronique, symbolique, hiéroglyphique, etc… Le tout couplé à des fusils d’assauts aux formes improbables et à l’ergonomie douteuse, sac à dos bulbeux avec composants électroniques et batteries volumineuses et gilets pare-balles en céramiques composites moins pratiques qu’une armure de tournois du XVIe siècle.

Le cyberwarrior, faute de place, n’a même plus de pelle pour creuser une tranchée… Contrairement aux idées reçues, un combattant efficace est bien dans sa peau, c’est à dire bien dans ses armes. L’hoplite grec savait que son armure ne devait être ni trop serrée, ni trop lâche pour être portée au combat. Sans compter que l’armure de l’hoplite est conçue à l’origine pour favoriser un maximum de mouvement au combattant. Au moyen âge, les armures répartissent le poids sur tout le corps, et à la manière d’un « exosquelette » l’armure se porte « elle-même ». Une armure de 30 à 35 kg est ainsi plus facile à porter qu’un barda moderne du même poids.

Sans compter, comme le décrit Jean le Malingre dit Boucicaut dans »Les livres des faicts » (XIVe siècle) qu’un chevalier entraîné peut, en armure, grimper à la force de ses bras à l’arrière d’une échelle, qu’il peut sauter sur un cheval au gallot, escalader un mur et faire des roulades et des sauts périlleux *… Les chevaliers Anglais et Bourguignons, par exemple, aimaient bien combattre à pied, jamais leur armure n’était un fardeau, car leur « technologie de combat » se situait moins dans leur armement que dans leur initiation militaire.

Il faut ici renverser la logique moderne et comprendre que c’est l’armement qui s’adapte à l’entraînement et non l’inverse. Si les artisans armuriers avaient créé des combinaisons aussi improbables que celles des « cyberwarriors » il est évident que les chevaliers auraient préféré s'en passer…


Passons maintenant à la seconde colonne du futur… et revenons dans le passé en juin 1999 ou une délégation américaine de l’US marine corps se rendit en territoire Tchécthene pour enquêter sur les méthodes de combat des « rebelles ». Première surprise, selon l’article d’Arnaud Kalika « Les Gi’s à l’école des Tchétchènes » dans le magazine «Minotaure nº3» ( Automne 2003), ceux-ci délaissaient les gilets pare-balles trop encombrants, les casques, ainsi que les lourdes bottes de combat, préférant les « Nike air ».

C’est que la guerre moderne favorise le mouvement sur la protection, et un soldat lent est un soldat mort. Les combattants sont formés de groupes de cinq hommes : Un tireur d’élite, un mitrailleur, un artilleur léger (RPG-7) et deux pour la logistique. La répartition du « poids » est ainsi optimale entre les combattants puisque les tâches sont bien définies et faciles à suivre. En réalité cette formation composée de 3 combattants est inférieure à la formation tactique des commandos SAS. L’ajout de deux porteurs n’est pas significatif puisqu’il n’est qu’une manière pragmatique de répondre au problème de la logistique dans un conflit urbain.

Cette organisation, il faut le dire, ne concernait que les troupes d'élite tchétchènes : garde présidentielle et autres vétérans du Caucase. La plupart des unités tchétchènes consistaient en des milices paysannes composées d’une trentaine de combattants issus du même village. Ce type de guerre qui utilise des « actions en essaim » divise le poids de l’armement sur des quintettes et des milices qui elles-mêmes répartissent la lourdeur d’un dispositif de corps d’armée sur la multiplication chaotique des essaims… La tactique tchétchène est donc une réponse élégante entre mobilité et efficacité au détriment de la puissance de feu .


Quelques mois après la visite de la délégation américaine, les Tchétchènes se faisaient écraser par l’armée russe lors de la seconde bataille de Grozny , leur encerclement par l’armée russe avait annihilé leur avantage. La tactique russe était en réalité très ancienne, il s’agit du « periplous » grec qui était librement inspiré de la chasse aux thons… Une fois les thons encerclés, le bruit et les cris, vont affoler les poissons qui vont se jeter dans les filets tendus…. C’est ce qui est arrivé aux Perses à Salamine et aux Tchétchènes à Grozny.

Les officiers russes ont parlé de « piège à loups » dont le principe est strictement le même à la différence qu’on laisse croire à la « proie » qu’il reste un passage. C’est en voulant emprunter ce corridor que les Tchétchènes ont subi d’énormes pertes, dont de nombreux commandants émérites. La parade à cet encerclement est le « diékplous », qui signifie en grec « le moyen de se dégager » c’est à dire briser le cercle par une attaque linéaire puissante avant que celui-ci ne se referme. C’est la manœuvre utilisée par les Grecs à l’Artemision contre la flotte de Xeres. Malheureusement, pour les Tchétchènes, une armée en essaim est incapable de réussir cette manœuvre contraire à sa logique de combat…


Quelle que soit la direction où l’on tourne son regard, le cyberwarrior ou le guérillero aux semelles de vent, le temple du futur soldat semble se fissurer dangereusement…


Il faut dès lors considérer deux choses, si la guerre telle que nous la concevons aujourd’hui, se pratique demain de la même manière qu’aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de changer les méthodes d’entraînement ou de réfléchir sur un soldat du futur ! Par contre, si la guerre de demain doit survenir dans des conditions totalement nouvelles, il n’existe pas d’alternative à l’alternative…

Si une guerre doit se faire dans un environnement sans maîtrise du ciel, où chaque fait et geste des armées est épié et analysé par une multitude de moyens électroniques et humains, il s’agit d’une guerre d’un type nouveau… Et toute réflexion doit s’appuyer sur le pire scénario possible… Il faudrait donc reprendre le terme de « théâtre de guerre » qui avait été employé pour la première fois par le Général Thébain Epaminondas. Nous pouvons alors tenter de redéfinir un cadre d’action pour la guerre du futur.

Le terme de « théâtre » ne doit plus être pris au second degré puisque dans un environnement divisé entre « le spectateur » et « l’acteur », c'est-à-dire entre un adversaire qui s’est acquis une certaine maîtrise technologique et une armée qui doit annuler ces avantages, il existe un lien de cause à effet entre l’observateur et l’observé. Le rôle d’une armée observée est d’être au sens propre un « acteur » du « Théâtre de Guerre », chaque fait et geste devra obéir à des actions de "jeux", d’élisions, de leurres, de changement d’axes, de camouflages, et de désinformation ou de surinformation...

Une armée classique peut-elle s’adapter à ce théâtre de guerre ? Une colonne de plusieurs centaines de camions militaires se dirigeant vers un objectif est-elle réaliste dans ces conditions ? Non. Toute concentration sera immédiatement anéantie par un adversaire possédant la maîtrise du ciel, ne serait-ce que quelques heures…


La guerre future sera donc une guerre de saturation ou les objectifs militaires et civils ne feront plus qu’un grâce aux armes dites de précisions : Chaque immeuble, chaque abris, maison, parc, ferme, forêts, usine, aéroport, mairie, ministère, hôtel, restaurant, pourra officiellementdevenir « objectif militaire » sans contrevenir à la convention de Genève. Les avions de chasse, bombardiers, canonnières volantes, hélicoptères, satellites, avions-espions, drones d’observation ou tueurs, et les minuscules MAV sillonneront l’espace aérien.

Au sol, des agents humains procureront des informations, relayés par des senseurs enregistreurs, des caméras cachées, et très certainement des petits robots mobiles. Des opérations commandos seront déclenchées pour s’emparer de personnalités importantes, d’officiers, et les voies de communication seront systématiquement bombardées. La guerre chirurgicale est en réalité une forme de guerre totale déjà préconisée par Ludendorf dans les années 1930. C’est dans cet environnement extrêmement changeant que devra évoluer le fantassin du futur.


(2eme partie)

Proies et prédateurs : Topotaxie du combattant


1-Sentir l’espace

La principale qualité d’un prédateur ne réside pas dans ses armes naturelles, mais dans sa capacité à « sentir l’espace » et à se déplacer d’une manière adéquate dans la « zone de chasse ». Tout prédateur doit donc « visualiser » mentalement une « image de recherche » pour sélectionner le maximum d’informations sensitives sur la proie et choisir parmi trois types de tactiques : 1-la poursuite ( chasse à courre), 2-la furtivité ( déplacement silencieux et invisible), 3 L’embuscade ( chasse à l’affût).


Dans les trois cas, il s’agit toujours de réduire la distance qui sépare le prédateur de sa proie. Le postulat de base est donc que plus la distance est réduite plus le pourcentage de réussite est élevé sur une échelle allant de 5% à 95 %. Lorsque ces différents types de chasse sont utilisés ensemble et coordonnés entre plusieurs individus, la probabilité augmente en conséquence grâce à l’utilisation d’un animal-leure.



2-la Topotaxie

Le phénomène de prédation est ainsi considéré comme une « topotaxie », ce que l’éthologiste Konrad Lorenz définit comme « le modelage d’un mouvement conforme à une fin de conservation de l’espèce par des excitations venant de l’extérieur. » Ainsi, du Tigre à L’Hippocampe, il s’agit toujours pour le prédateur, à se trouver dans une position précise qui déclenchera le mouvement d’attaque. Pour attaquer, le Tigre doit se trouver à moins de dix mètres de sa proie, c’est la raison pour laquelle un chasseur surpris par un grand félin, aura peu de chance de survivre même équipé d’une une arme à feu moderne…



3-Le comportement d’appétence

Ce positionnement d’attaque est une constante que l’on retrouve dans le monde animal. Il s’agit d’une modification de position régie par une « taxie » ou « réaction d’orientation » extrêmement complexe que Wallace Craig avait appelée « comportement d’appétence ». C’est la position juste, dans un espace géographique, qui conduit à la suppression de l’inhibition, processus nécessaire au déclenchement de l’action instinctive. Ainsi, l’instinct d’attaque, ne peut se déclencher qu’à partir d’une certaine distance, et un bombardement, où un tir au fusil, ne survient jamais au sein d’une action instinctive, mais est en quelque sorte délocalisé…

L’homme et l’animal, se caractérisent par la recherche active des « comportements d’appétence » et la plupart des sports, avec les exemples extrêmes comme le saut à l’élastique et le parachutisme, mais aussi la chasse et la guerre conduisent à ce processus d’excitation caractéristique qui repose aussi sur les « plaisirs des sens » inhérents à toute action instinctive …



4-Les réactions d’orientation

Pour Konrad Lorenz, c’est seulement l’expérience qui permet de développer un véritable comportement d’appétence et en ce sens il est « (…) absolument impossible de tracer une frontière nette entre la réaction d’orientation la plus simple et le comportement « intelligent » le plus élevé. » Chez l’homme, l’entraînement et l’expérience de la taxie sont d’autant plus nécessaires que les phénomènes déclencheurs ont beaucoup perdus de leur sélectivité et sans un véritable apprentissage biomécanique de l’espace, ceux-ci peuvent survenir trop tôt ou trop tard…



5-Mouvements circulaires et linéaires

Tout entraînement militaire doit s’appuyer sur deux types de mouvements aux finalités différentes :


A-Le mouvement circulaire, servant à maintenir l’équilibre, à contourner une « cible », à fabriquer une « image de recherche », à s’esquiver et qui appartient à la catégorie des réactions d’orientation, dirigée par des excitations de contact. Ces mouvements ne sont pas innés et appartiennent au domaine de l’expérience, de la technique, et de la dextérité, car ce sont les mouvements qui permettent de s’approcher de l’adversaire afin de déclencher une attaque "instinctive"



B- Le mouvement sagittal ou linéaire est une action instinctive pure qui se dégage des contraintes des récepteurs. C’est le mouvement de l’attaque « fulgurante »


6-Spectre large et focus.

Tout combat basé sur des réactions d’orientation complexes, est essentiellement circulaire par nature. Le point de vue du combattant doit ainsi varier en permanence afin de trouver l’angle d’attaque le plus propice. Plus la cible se rapproche, plus la vision se resserre, c’est le fameux « effet tunnel » . L’art du combat, en termes psychologiques, doit permettre de passer constamment d’un spectre large, permettant d’appréhender la cible dans son environnement, puis de passer en mode « focus » en resserrant la vision sur les armes de l’ennemi.



C’est cette recherche de la plus petite distance, qui conduira désormais les recherches vers un soldat du futur avec l’utilisation optimum d’un entraînement basé sur la « topotaxie », (dont les arts martiaux ne sont qu’une «phase»), et la possibilité d’utiliser l’action instinctive en phase finale


(3eme partie)

Changer la guerre ?


En 2002, du 24 juillet au 15 août, eurent lieu les plus grandes manœuvres de l’histoire militaire américaine : Millenium Challenge 2002 (MC 02). Il s’agissait de tester et de valider en grandeur nature la nouvelle doctrine tactique mise au point par les stratèges de la RAND corporation et soutenue par Donald Rumsfeld et les «faucons», et dont l’objectif « non officiel » était orienté vers la destruction prochaine de l’Irak de Saddam Hussein.


Plus de 250 millions de $ furent investis dans l’opération, et 13 500 hommes furent mobilisés dont la XVIIIe Division aéroportée. Un théâtre d’opérations constitué de 17 zones géographiques, réelles et virtuelles, furent sélectionnés dont les îles de San Nicola et San Clementa au large de la Californie pour la marine et le désert du Nevada ainsi que 9 terrains de manœuvres pour les troupes antagonistes. Selon le scénario, les forces américaines (bleues) devaient attaquer un pays « indéterminé » du golfe persique après un ultimatum et une démonstration de force adéquate. La capitale ennemie devait subir un tir ciblé de cruises missiles pour désorganiser ses centres de commandement, pendant que des troubles intérieurs étaient fomentés par la CIA.

L’opération devait se poursuivre par le bombardement programmé de 14 500 cibles pour laisser place à une offensive éclair de blindés et de marines vers la capitale…


Le commandant des forces «rouges», Van Riper, avait eu l’assurance que le jeu était ouvert et qu’il pouvait gagner contre le camp bleu… Il imagina alors toutes les méthodes possibles pour annuler les avantages technologiques des bleus. Pour Van Riper, la prétention de certains théoriciens à vouloir changer la guerre était un ramassis de concepts et de slogans sans bases intellectuelles ; ou plus prosaïquement, «des branlettes d’intello». Son objectif était donc de montrer qu’une armée non conventionnelle était capable de vaincre sur son propre terrain.


Au cours des 12 jours qui devaient conduire de l’escalade au conflit armé, Van Riper s’efforça de réduire l’efficacité des tirs de précision des bleus en délocalisant ses centres de commandements dans les cavernes, les caves ou les greniers, en donnant des ordres pour camoufler du mieux possible ses unités, et en leurrant l ‘ennemi par des déguisements. Après avoir réduit sa « signature » matérielle, il ordonna à ses troupes de ne plus communiquer par radio, téléphone et autres moyens électroniques, mais de n’utiliser que des messagers à motos.

Au bout de ces deux semaines, les armées bleues devinrent incapable d'utiliser leurs compétences en écoute électronique. Enfin, sachant que la nouvelle doctrine américaine favorisait l’attaque préventive, il décida de surprendre l’ennemi en attaquant le premier. Le signal de l’offensive fut totalement ignoré par les Bleus puisqu’il donna l’ordre d’attaque en utilisant l’appel à la prière des muezzins...

Il lança alors sur la flotte américaine ( au large de la Californie), des commandos suicides inspirés des techniques d’Al-Qaïda avec de petits avions de tourisme et des hors-bord rapides. Alors que l’ultimatum n’était pas encore arrivé à son terme, l’effet de surprise avait été destructeur : 16 navires américains étaient coulés, dont un porte-avions et deux porte-hélicoptères. Van Riper était en train de mettre en péril la plus grande réforme militaire depuis 3000 ans en ne respectant pas le « script » victorieux qui avait été décidé avant l’opération MC 02.

Il n’eut pas l’occasion de lancer la seconde phase de ses actions militaires, car les responsables militaire et politique, arrêtèrent précipitamment le Pearl Harbor de Van Riper, et on « renfloua » les navires virtuellement coulés pour recommencer le jeu en imposant des restrictions draconiennes aux rouges afin que la force bleue démontre la supériorité du concept d’opération rapide décisive, et qu’il soit validé et adopté par l’US army comme sa nouvelle doctrine militaire du XXIe siècle.


Pour van Riper, cependant, la réalité de la guerre, «la nature fondamentale de la guerre n’a pas changé, ne changera pas, car elle ne peut pas changer.» Quelque soient les théories, la guerre est toujours une histoire de corps à corps et Van Riper démontra qu’en refusant le combat de dupes, et en allant chercher l’ennemi à une distance à laquelle il ne pouvait se soustraire, il annulait l’avantage technologique d’une armée formatée pour tuer sans voir ses ennemis...
savage
 
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Re: Le soldat du futur

Message par Roro » 19 Juil 2005, 06:30

Chapeau Savage, et merci pour cette excellente synthèse, vous êtes un pro.
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Message par comanche » 29 Juil 2005, 00:43

Très intéressant, surtout après avoir lu le dernier hors-série (No 16) du magazine RAIDS sur la guerre du futur,où on voit que les incovénients peuvent parfois surpasser de très gros avantages...
Merci!
comanche
 


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